Le message du Pape à l’ordre des mékhitaristes, une congrégation arménienne

À l’occasion des 300 ans de la Fondation de la Congrégation arménienne mékhitariste, le Pape François a adressé une lettre qui a été lue dimanche au terme de la Divine Liturgie célébrée sur l’île de Saint Lazare des Arméniens, à Venise, en présence du cardinal Leonardo Sandri, préfet de la Congrégation pour les Églises orientales.

Benedetta Capelli – Cité du Vatican

Le Pape François, très attaché aux traditions spirituelles de l’Arménie, pays où il s’était rendu en visite en juin 2016, a profité de cet anniversaire pour remercier le Seigneur de «l’abondante effusion de grâces et de charismes» reçues au cours des siècles par la Congrégation arménienne mékhitariste. Le Pape François l’a écrit dans une lettre datée du 5 septembre, envoyée à l’occasion du 3e centenaire de la fondation à Mgr Boghos Levon Boghos Zékiyan, délégué pontifical pour cette congrégation. Le message a été lu ce dimanche 16 septembre au terme de la célébration tenue en présence du cardinal Sandri.

François, dans ce message, rappelle que les membres de cette congrégation se sont distingués «par une vie religieuse fidèlement vécue, et, souvent, témoignée héroïquement, jusqu’au sacrifice suprême du martyre». En évoquant la figure du vénérable Mékhitar, l’un des grands réformateurs de la vie monastique dans les Églises d’Orient, le Pape a mis en évidence sa contribution pour la construction du « »sensus fidei » (la conscience de la foi, ndlr) du peuple arménien, l’une des expressions les plus brillantes de la spiritualité et de la culture de son peuple». Il invite donc la congrégation à «cultiver, approfondir et diffuser pour le bien de tout le peuple arménien» «le trésor spirituel et culturel» qui lui appartient depuis toujours.

Ouverture œcuménique

Le Pape a ensuite rappelé deux éléments d’une valeur particulière : «La tradition de l’humanisme théologique arménien incarné d’une façon singulière dans l’institution des Vardapet», un terme arménien qui exprime l’idée du moine érudit, protecteur et transmetteur des sciences sacrées et des arts. François a mis en lumière la synthèse originale accomplie par Mekhitar «entre l’humanisme ecclésial des Vardapet arméniens et l’humanisme classique occidental, dont des monuments insignes sont la production théologique, philosophique, historique, lexicographique et philologique de l’école mékhitariste». Le deuxième élément mis en évidence par le Pape est «l’ouverture œcuménique prophétique insérée dans la spiritualité mékhitarienne», en lien avec la tradition de l’Église arménienne incarnée, entre autres, par saint Grégoire de Narek.

Le Pape a également rappelé «les incompréhensions et les difficultés» que Mekhitar et la congrégation ont rencontré mais qui ont été surmontées, et qui «sont une part indicible du charisme» encore aujourd’hui d’une grande actualité. «Le Saint-Siège, qui a toujours nourri pour Mekhitar et ses enfants une attention particulière, a été et demeure aux côtés de la congrégation dans ces passages délicats, en offrant toute l’aide et le soutien possible.»

Continuer à illuminer la route du peuple arménien

En lien avec le monastère de Vienne, l’île est un lieu vivant, malgré la réduction générale du nombre de moines, toujours appelés à «maintenir ouverts et amples les horizons de la mission et fort le lien de la communion». «L’identité mékhitariste consiste dans le fait d’être avant tout des personnes entièrement consacrées à Dieu, une vocation irréalisable sans une communion réelle avec les confrères et sans l’engagement total, intègre et joyeux des vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, une source évangélique de vrai renouvellement et une garantie sûre dans les labeurs d’aujourd’hui», insiste le Pape.

«Je souhaite, écrit-il en conclusion, que la flamme allumée par le fondateur continue à illuminer la voie épineuse et florissante du peuple arménien avec la foi dans le Christ et avec l’espérance que sa Parole contemplée, étudiée et diffusée génère d’une façon pérenne.»


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Mekhitar Appahayr ( né Manoug Bedrossian)

L’Abbé Mékhithar est né à Sivas l’ancienne Sébaste en Anatolie en 1676, lorsque la majeure partie de l’Arménie et son peuple vivaient des jours très difficiles.
Il était enfant lorsqu’il reçu son éducation religieuse. Assoiffé de connaissances plus élevées, il est allé à Etchmiadzine et aux couvents de Sevan, et Pasen où, déçu il n’a pas trouvé ce qu’il attendait.
Depuis son adolescence, il s’est consacré à d’inlassables lectures au couvent de Sourp Nnshan (Saint Nshan) A 20 ans, à peine consacré prêtre, il conçu de recueillir des étudiants et d’établir une congrégation témoignant du mauvais état financier et intellectuel de l‘Arménie, dans le but de travailler collectivement et d’augmenter le niveau, moral, spirituel et intellectuel du peuple Arménien. C‘était une bonne idée et un beau plan mais très dur à réaliser durant cette période.
En 1700 entouré de neuf étudiants il pose les bases de l’institution dont il rêvait, et qui allait porter son nom l‘Institution Mekhitariste. Très sollicité par les membres de sa famille pour ses persuasions de conciliations religieuses et nationales, il prit refuge d’abord à Méton en Grèce et puis est allé à Venise définitivement. Il reçu la propriété de l’île de Saint Lazare de la part des autorités pour ses efforts personnels, et avec l’aide de ses amis il s’est installé là officiellement le 8 septembre 1717 avec seize cénobites. A partir de cette date, l’île inhabitée devenait le berceau de la culture Arménienne et le cœur le plus actif de la renaissance Arménienne du 18ème siècle.Mékhitar avait un but dans sa vie, la formation des moines à prêcher la lumière, et la connaissance au peuple Arménien, et a consacré sa vie entière à l’illumination de son peuple, lui-même impressionné par une telle force morale, force qui ne savait pas s’arrêter devant l’obstacle.
Il avait une foi profonde, une volonté exceptionnelle, un esprit fort et vif doté de talents exceptionnels intellectuels et spirituels. Il a travaillé durement et continuellement et avec un enthousiasme sans fin dans les domaines de l’édification de la religion, et de l’éducation. Sa production littéraire se constitue autour d’une vingtaine de publications, parmi lesquelles, le plus évident a été «Haigazian Dictionary» qui fut publié trois semaines après sa mort. Cela a été un de ses plus grands mérites, .un travail étendu et une entreprise difficile qui sont devenus la base et le salut de notre langue.
Cependant, la plus grande innovation de ses publications qui a été saluée comme la plus grande innovation ouvrant, un nouveau siècle était la Sainte Bible. En plus de ces derniers, il y eu des travaux linguistiques explicatifs, et poétiques. Mékhithar est une personne intelligente par l’esprit, et par ses capacités, il a atteint les plus hauts degrés de connaissances par ses efforts personnels possédant une intelligence qui nous fait aimer le savoir, et la connaissance.
Par son travail Mékhithar est devenu non seulement le fondateur d’une institution religieuse mais il a aussi recréée le mouvement culturel, éducatif de la connaissance, mouvement qui s’est toujours amélioré et prolongé, et à partir de 1800. Il a pratiquement réussi à inspirer un fort esprit national de compréhension et d’amour envers les trésors historiques et culturels. La foi à commencer une nouvelle période avec la floraison d’une vie littéraire, et intellectuelle. Dans l’épilogue de la Sainte Bible qu’il a publiée il a transmis comme testament la doctrine de deux idées, religion et patriotisme sans sacrifice de l’un pour l’autre. Et la direction qu’il a donnée est devenue le caractère de ses étudiants.
Il est nécessaire de voir sa réelle valeur dans la rénovation de la vie culturelle et religieuse et dans la conception d’un plan clair, dans le but de comprendre et particulièrement dans cette ferme volonté qui a su comment créer le cœur d’un mouvement littéraire, donner la poussée nécessaire à ses successeurs, améliorer ces engagements et leur donner, stabilité et vie fertile.
Après les siècles de déclinaison, Mékhithar fut le premier qui nous a inspirés avec la religion, la patrie, la vérité et les arts, il a changé notre mentalité, dispersé la lourde obscurité dans l’horizon d’esprit arménien, en ouvrant un nouveau monde de lumière de connaissance et de vie.
Mékhithar est mort le 27 avril 1749. Le jeune abbé Stépanos Melkonian (1750-1800) lui a succédé. A cause de ses divergences spécifiques, un groupe de moines cénobites est allé de l’ile de Saint Lazare à Trieste en 1773. Ils se sont installés définitivement à Vienne en 1811 étant alors accueillis par l’empire autrichien. Les quelques Mekhitaristes se sont consacrés à la rude tâche de l’éducation pastorale et culturelle du peuple arménien,
La congrégation Mekhitariste avec ses quelques branches à Vienne et Venise, et après plusieurs années de négociations et d’études, a organisé une assemblée générale extraordinaire au Siège du Monastère de St Lazare de Venise en juillet 2000 avec la participation de tous les moines des deux institutions. Les moines cénobites de cette rencontre ont décidés ensemble de réaliser immédiatement une union complète en créant une congrégation unie avec un comité central. Cette étape historique a coïncidé avec le 300ème anniversaire de la congrégation établie par le prédicateur Mékhithar Sepasdatsi, et aussi le 1700 anniversaire et l’acceptation officielle de la religion chrétienne en Arménie. En fait, il y a une congrégation Mekhitariste, dont la Maison mère est le monastère Saint Lazare de Venise, et le couvent de Vienne est devenu le monastère principal.
Le monastère de Vienne à a son tour un abbé tenant le titre d’’abbé local. Tous les lieux de la mission, et les instances des deux congrégations sont gérés par l’abbé général. En fait le nombre de Mekhitaristes de la congrégation est de 26 membres, y compris les 3 évêques.
Les cénobites qui ont rejoint l’Institution Mekhitariste, ont suivi son exemple avec fidélité, essayant de réaliser son idéal, et améliorer la vue d’ensemble d’une manière logique. Cela signifie l’étudier et le rendre familier au peuple Arménien dans l’historique, l’ecclésiastique, le littéraire, le linguistique toutes les valeurs culturelles pendant les siècles. C’est devant ce travail évident que le renouveau du 19 siècle est devenu incompréhensible sans les mekhitaristes. Mékhithar et ses successeurs, avec un travail planifié, ont recueillis pendant des années d’excellents manuscrits arméniens les sauvant ainsi de la perte. Aujourd’hui les bibliothèques ont autour de plus de, 5000 manuscrits, d’une précieuse et exceptionnelle importance.
Durant les siècles les deux couvents Mekhitaristes, étaient loin du monde des destructions et des calamités, ils ont rassemblés de l’étranger et de l’Arménie Arménienne des éditions avec attention et patience, formant ainsi une bibliothèque riche de .10000 volumes en Arménien, et d’autres langages européens, également des journaux mensuels, et de rares journaux arméniens .Dans les riches musées de Venise et de Vienne sont préservés des trésors inestimables. Dans leurs vitrines de démonstrations sont exposés fièrement, des monnaies antiques, tapis, arméniens porcelaines, des échantillons d’art sacré et des costumes arméniens. Depuis 300 ans la presse Mekhitariste, et la maison d’édition, ont travaillé conscients de leur rôles et fonctions et encore aujourd’hui le nombre de publications Mekhitaristes est d’un millier de volumes sans prendre en considération les périodiques. L’académie Arménienne de St Lazare fondé en 1843 et le couvent de Vienne avaient leur journaux officiels «Pazmaveb et Hantes Amsoria» deux d’entre eux continuent d’accomplir leur travail expérimenté jusqu’à aujourd’hui. Puis est venu le temps des études Historico philologiques, l’histoire Arménienne intégrale et la littérature restituée. La langue Arménienne classique corrompue (le littéral) purifiée avec grammaire convenable et une commission d’études, les travaux les plus importants du grec, latin, italien, français, et allemand et des littératures anglaises ont été traduits en arménien. Et aussi, une volumineuse bibliothèque de traductions de pièces littéraires de Maîtres contemporaines et universelles.
En 1784, la nation Arménienne avait son histoire complète pour la première fois, due à trois publications des volumes de Michel Chamchian, qui, prenant ses notes de toutes les ressources arméniennes et étrangères, pose les bases de l’histoire critique Arménienne.
Les moines artistes ont commencé aussi à graver des cartes arméniennes, à illustrer des livres, publier des œuvres d’arts, des images d’endroits historiques, et de monuments arméniens afin de ranimer l’amour de la terre Arménienne et de la culture Arménienne dans les âmes. Le mouvement théâtral arménien a commencé aussi à se propager à l’étranger au 19ème siècle, dû aux étudiants Mekhitaristes. En 1836-1837 le nouveau dictionnaire de la langue Haigaizian 2 volumes est devenu le dictionnaire publié, qui est resté jusqu’à aujourd’hui excellent et comme le plus vaste et irremplaçable dictionnaire. Le seul de son espèce, et à la gloire de l’arménologie. Pour la première fois, l’arménien populaire, le moderne est devenu la langue littéraire, entrant dans la réalité arménienne, avec des annales et des publications de périodiques de style Puzantian.
Napoléon 1er reconnaissant l’aspect exceptionnel de l’activité intellectuelle des Mekhitaristes, et avec une autorisation empirique spéciale en 1810, a considéré le monastère Mekhitariste de Venise comme Institution Universitaire. En plus des scientifiques arméniens célèbres, des scientifiques européens se sont joints également comme membres. Il est impossible d’identifier et d’apprécier les Mekhitaristes si leur caractère Arménien a été oublié. Jugez cela comme vous le souhaitez, trouvez dans leurs œuvres chaque faute possible, appelez les partiaux, mais il y a une chose qui est incontestable, leur nationalité Arménienne.
Le représentant de la poésie moderne arménienne Taniel Varoujan a déclaré avec gloire ‘ «Mon cerveau est fier, de la fierté de l’idéal Mekhitariste». Aujourd’hui également la congrégation Mekhitariste, malgré les difficultés de ces plusieurs dernières années, continue sa mission sacrée en suivant le chemin qu’avait dessinée son fondateur.
Avec l’activité littéraire, les pères Mekhitaristes ont entouré les colonies arméniennes importantes, d’un réseau scolastique étant persuadés que l’éducation et l’illumination de l’esprit étaient nécessaires pour les nouvelles générations. Ils ont joué un rôle important par le passé avec leurs écoles, et continuent de le faire avec la conscience profonde de protection de la nation. Beaucoup de figures nationales, écrivains, des poètes, artistes, et politiciens on été licenciés des écoles Mekhitaristes. Aujourd’hui ils ont des écoles à Paris, Constantinople, Alep, Beyrouth Buenos Aires et Los Angeles.
Alys


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L’occupation napoléonienne de Venise

Le role de Bédros Abessov,

Arménien du Karabagh

dans le sauvetage du Monastère de Saint-Lazare

 

 

Extraits de l’article dans la revue mensuelle PAZMAVEB de Venise, du 5 Mai 1921, du Père Minas Nourikhan :

« Napoléon Ier et les PP. Mekhitaristes arméniens de Venise ».

 

Depuis six ans, la République de Venise n’existait plus, le Souverain Pontife était en exil. La petite Congrégation n’avait pas même le nécessaire pour vivre, parce que ses épargnes placées à la Monnaie de la République, ne produisaient plus, comme au temps de la Sérénissime . Le royaume d’Italie, sous l’hégémonie de la France, ne montrait pas la même sympathie qua la République vénitienne.

Dans une circonstance si critique et si désolante, l’Abbe Akonz, esprit calme et éclairé, appela à Venise les Pères anciens et tint conseil. Il fut décidé de faire des démarches, auprès des autorités françaises à Rome, à Paris, à Milan et même à Constantinople, où était ambassadeur M. Ruddin. Le Père Mesrob Agatchrakian, chimiste très connu, nommé chevalier par le Sultan, Meritissimus par l’Empereur d’Autriche, et plus tard membre de l’Institut minier de Paris, fut envoyé à Paris. Le P. Mesrob devrait agir sur la Cour de Napoléon par des savants de sa connaissance.

  1. Gabriel Avedikian, vicaire général de la Congrégation fut envoyé à Rome ; il devait voir le Cardinal Fesch , oncle de l’Empereur, qui habitait a Civitavecchia, « Représentant, dit notre chroniqueur, du plus grand monarque de l’univers ».

Le Cardinal Fesch, connaissait déjà l’Abbé Akonz. Ce dernier lui avait été présenté en 1804, et le cardinal s’était vivement intéressé aux publications de l’Imprimerie mekhitarienne, surtout au sujet des ouvrages d’Eusebe de Césarée, de Philon le Juif et de divers Saints Pères. Il avait promis alors sa protection efficace pour la Congrégation arménienne. Et voici que l’occasion se présentait.

Le P. Avedikian remit un Memorandum, semblable à ceux que devaient présenter lee autres envoyés. Ce memorandum contenait les trois propositions suivantes :

 

  1. La Congrégation mekhitariste est établie à Venise, pour développer dans sa nation, en Orient, la religion catholique et les sciences.

 

  1. La Congrégation n’est pas mendiante, et ne se procure pas des ressources à Venise. Elle vit soutenue par ses co-nationaux en Orient, et du produit de la vente des livres qui sont envoyés partout jusqu’aux Indes. Son capital était place à la Monnaie de Venise, moyennant un intérêt de 26420 livres. Après la destruction de la République de Venise, l’Autriche n’a plus donné que 12670 livres, puis a réduit la rente à 800 livres par mois. Il est impossible de vivre ainsi. Nous supplions que les 26420 livres, nous soient versées de nouveau.

 

III. La Congrégation, étant de nationalité étrangère, devrait être déchargée de toutes les charges qui sont pour les religieux du pays, et jouir de toutes les exemptions obtenues en Orient par les Français et les Italiens.

A Paris et à Milan, ceux qui tremblaient pour la vie de la Congrégation, conseillaient, de ne pas mentionner dans la supplique la qualité de « religieux », et d’accentuer plutôt le rôle d’Académie scientifique, ou d’Institut d’Etudes pour l’Orient ; ainsi on avait l’espoir d’être épargné, comme en France l’avaient été, les PP. Lazaristes, les Frères des Ecoles chrétiennes, les Missionnaires d’Orient, les Sœurs de Charité, en tant qu’œuvres de Bienfaisance, humanitaires.

Cependant la Congrégation mekhitarienne, dans ce terrible moment de vie et de mort, ne voulut point renier son caractère monastique et religieux, qui travaille pour la FOI et pour la Science. C’est en ce sens que le Cardinal Fesch écrivit au vice-roi d’Italie, le Prince Eugène de Beauharnais, fils de Joséphine, la femme de Napoléon. Ce dernier avait une tendre affection pour le Prince, âme noble, bonne, très instruit, bienveillant pour tout le monde, influent par son beau-père. Le Prince, comme vice-roi d’Italie, siégeait à Milan. Ainsi la supplique des Pères mekhitaristes devait arriver entre ses mains.

La Congrégation avait délégué à la capitale de la Lombardie le P. Jean Zohrabian, personne très instruite, bien connue en Europe par sa publication de la Bible en arménien, avec les variantes des manuscrits, qui, avec son érudition, était un homme de grand tact. Mais toutes ses qualités appréciables n’auraient obtenu aucun résultat favorable, s’il n’avait trouvé de forts appuis auprès du Prince.

Le premier appui fut son élève pour la langue arménienne, l’Abbé Bréme, fils du Ministre de l’Intérieur d’Italie, qui reçut le P. Zohrabian à bras ouverts et le présenta à son père, lequel se chargea de remettre au ministre du Culte la demands de la Congrégation arménienne. Le second appui du P. Zohrabian fut un arménien : Bédros (Pierre) Abessov de Karabagh, province orientale de l’Arménie. A ce fils de notre patrie, nous devons la bienveillance et la sympathie du Prince Eugène envers la Congrégation. En mentionnant avec une profonde reconnaissance le noble Prince, nous déposons aussi sur la tombe de Bédros Abessov, en guise de couronne de fleurs, la description que fait de lui le P. Elie Tomadjian, le célèbre traducteur en arménien d’Homère, de Plutarque, de S. Jean Chrysostome et de Massillon.

La lettre était adressée au P. Baptiste Aucher, le théologien très connu, le 7 novembre 1806, et renfermait une lettre de Bédros à ses parents en Karabagh. La lettre devrait être remise par le moyen de nos missionnaires au Caucase. Le P. Elie dit que le père de Bédros s’appelle Abbés, qu’il est mort. La mère, fille de prêtre marié, s’appelle Hripsimé ; le frère : Boghos, ses sœurs Thoumar, Sali, Soria. Leur surnom est Hadem, de la province de Karabagh ; leur ville Choucha ou Chou Kala, le village Vraghne.

Mais laissons au P. Elie la description de la personne de Bédros : « II y a un jeune homme de Karabagh, chef de la garde du vice-roi, le Prince Eugène, fils de l’Empereur de France, très aimé et très estimé de lui. Il a vingt-deux ans, de même taille que son maître, svelte, large des épaules, fort, de haute stature plus grand de quelques doigts que notre Archevêque Abbé. Actif, éveille, beau, de caractère doux, aimable à tous, comme le louent les lettres arrivées de Paris. Il promet un grand avenir, très apprecié de son maitre, le vice-roi, qui lui fit cadeau d’un uniforme de la valeur de six mille francs milanais. Il est venu nous trouver plusieurs fois, accompagné de ses compagnons du Palais, et s’est lié avec nous d’une affection particulière. Il appelait notre couvent : « mon couvent », et faisait les éloges de notre Congrégation devant le vice-roi.

Ce dernier était venu à Venise pour inspecter les côtes de la mer et voir les forteresses contre l’Angleterre. Un jour (selon que Bédros même nous le raconta) il aurait dit au vice-roi : « Va visiter notre couvent. Les Pères seront très contents ». Il a tant de liberté pour parler ainsi à son maître. Et le vice-roi aurait répondu : « Qu’est-ce qu’il y a dans le couvent. » Et Bédros de retour. « Que voulez-vous ? C’est un joli couvent, propre, les personnes sont très bonnes. » Le vice-roi aurait répondu : « J’irai, j’irai. »

Par son intercession notre Abbé fut reçu en audience le jour de la Toussaint. et quoiqu’il ne put voir le vice-roi, retenu par des affaires urgentes au Palais, il reçut un message honorifique : Que demain le vice-roi viendrait le voir au couvent. Notre Abbé, au retour du Palais, amena au couvent M. Bédros, qui dîna avec nous.

Le lendemain nous attendions tous le vice-roi au matin, et voici qu’à dix heures françaises, arriva à la porte du convent une gondole décorée. Nous crûmes que le Prince était dans la gondole, il sortit en effet avec deux gardes en tenue magnifique, mais M. Bédros n’y était pas, parce que le vice-roi voulait être traité en inconnu. Il portait un habit de noble civil, et ne se fit pas connaitre ; il avait ordonné aux gondoliers et aux gardes de ne rien dire, comme nous l’avons su après. Et quoique inconnu, cependant dans ses manières, dans ses paroles il montrait une autorité, une tenue magnifique et toute royale. En même temps il montrait envers nous douceur et familiarité. Ainsi nous avons été convaincus que c’etait le vice-roi lui-même.

L’archevêque Abbé fut soudain averti, et tous, petits et grands entourèrent le vice-roi inconnu. Il vit tout, et il eut plaisir de tout. Il demanda plusieurs informations, mais toujours pour des choses relatives au couvent. Il ne parla pas des matières intéressantes, qu’il connaissait déjà. Il désira spontanément voir l’Imprimerie, il la vit et fut content. Il se promena dans le couvent pendant une heure sans s’asseoir. Il avait à son côté notre Archevêque, et il partit en remerciant et saluant tous les Pères, fort content de nous, comme il s’exprima dans la suite à M. Bédros. Celui-ci se hâta de venir le jour suivant, sans se soucier du vent affreux et de la pluie. Il salua l’Archevêque et nous tous, parce qu’il devait partir avec le vice-roi. Le prince n’avait pas averti M. Bédros de sa visite au convent, avant de venir. Mais après le retour au Palais il lui avait dit, qu’il retournait au couvent. Nous avons remercié M. Bédros, parce qu’il a été la cause de la visite du vice-roi.

« M. Bédros, baisa deux, trois fois la main de Sa Grandeur notre Abbé, salua tous au couvent, et partit en laissant son cœur dans le monastère. »

Il était impossible que cette grande sympathie du Prince ne produisit pas son effet. Il était évident qu’il obtiendrait de l’Empereur, son beau-père, une exception à la commune suppression en faveur des Pères Mekhitaristes. Le P. Zohrabian, arrivant à Milan, avait eu bruit de cet espoir et même de l’arrangement de la question financière.

A Paris, le P. Mesrob avait présenté une supplique à l’Empereur le 22 Avril ; il avait visité plusieurs personnages savants, qui agissaient sur de hauts fonctionnaires de la Cour. Le P. Mesrob, dans une de ses lettres, donne les informations suivantes sur les Arméniens de Paris : « Il se trouve à Paris des personnes de notre nation : M. Abro(*), M. Tcherpet(**), qui est interprète dans la bibliothèque, vingt trois mameluks arméniens(***), militaires venus d’Egypte, un officier nommé Chahine, qui se signala à la bataille d’Austerlitz et obtint des promotions. Un autre arménien s’appelle Rustem, il est valet de chambre de l’Empereur et très bien vu de lui, quoique d’une capacité intellectuelle limitée.(****) II y a un autre jeune homme, du nom de Bédros, chambellan du fils de l’Empereur, qui est roi d’Italie. On dit pour Bédros qu’il est très intelligent, et avec le temps, fera carrière. Aleko Seghpossian est un bon enfant, mais encore très jeune. M. Joseph Yelkendjian qui est venu de Vienne avec moi, est intelligent. »

…L’empereur Napoléon vint à Venise le 27 novembre 1807. L’Abbé Akonz demanda une audience « pour lui présenter. ses hommages. » Le 5 décembre, Rustem, le mameluk de l’Empereur, arménien, vint à St. Lazare et remit à l’Abbé le billet d’audience, écrit par Mgr Codronchi, archevêque de Ravenne, grand aumônier de Sa Majesté Impériale et Royale, où on lui annonçait, qu’il serait reçu le lendemain à 8h 1/2 par l’Empereur, et lui recommanda de ne pas manquer l’heure.

Qui connaît la vie et le caractère de Napoléon, doit savoir que ses audiences étaient courtes, tranchantes. Ainsi doit-il avoir été à l’égard de l’Abbé Akonz, quand il s’est présenté avec son vicaire général. L’Abbé présenta pendant l’audience une supplique, relativement aux questions déjà indiquées. Pourtant, il n’aura pas reçu une réponse décisive ou consolante, autrement il l’aurait mentionnée dans ses lettres aux Pères en Orient. Seulement dans une lettre au Père B. Aucher, il note que la supplique aurait pu être rédigée avec plus d’efficacité. Les mois qui s’écoulèrent de 1808 jusqu’en août 1810 furent tous inquiétants pour la Congrégation, quoique des encouragements. Confidentiels ne manquèrent pas de la part d’amis haut placés et de M. Bédros de Karabagh.

Cependant la Congrégation assistait tous les jours à la dispersion des autres Communautés de Venise, ou à leur transplantation dans des pays lointains. La Congrégation des Bénédictins Olivetains de l’ile de Sainte Hélène, en face de St. Lazare, avait disparu définitivement. Ces deux petites iles s’appelaient « les deux yeux, les deux perles de la Lacune. » Cette disparition chagrina beaucoup nos Pères. Mais ce qui les troubla fortement, ce fut le décret du 12 mai, qui supprimait tous les couvents. L’impression générale et douloureuse fut des plus navrantes, non seulement pour les religieux, mais aussi pour les âmes pieuses. On devait déposséder les monastères séculaires, les riches bibliothèques, enlever les manuscrits précieux, les ors et les étoffes des églises, les meubles artistiques. Tout devait être enregistré et transporté à la disposition du gouvernement. Tous étaient sécularisés, hommes et femmes.

Une grande agitation et un terrible effroi s’empara des Pères de St. Lazare. Je trouve noté dans le Journal privé d’un Père, que toute la Communauté, se changea de costume et prit des habits orientaux, avec le turban sur la tête, pour accentuer leur caractère étranger. Déjà dans les journaux arrivés d’Autriche, on notait parmi les monastères supprimés, celui aussi des « Pères Mekhitaristes de Venise », et on peut imaginer le grand désespoir et la désolation. On faisait tous les jours des prières publiques. Les Pères passaient la journée dans l’Eglise, en prières au St. Sauveur ou à la Sainte Vierge, ayant le St. Sacrement toujours exposé. On voulut tenter une dernière démarche à Milan, et l’on envoya de nouveau le P. Zohrabian au Prince Eugène, avec une nouvelle instance. Le susdit Père fit toutes les démarches possibles, mais dans sa lettre du 5 août il ne donnait aucun espoir de succès.

Seulement, il avait su de son ami Opizzoni, que la supplique de la Congrégation présentée au Prince Eugène, avait été remise à l’Empereur, « Humainement il ne reste plus rien à faire, ajoutait-il, ainsi j’ai fini ce que ma Congrégation m’avait ordonné, et il ne reste aucune raison de s’attarder ici, nous sauront vite ou tard le résultat de nos démarches, que Dieu nous bénisse ».Ainsi il ne restait plus rien à faire qu’à attendre, l’anxiété au cœur. Dans de telles conditions, on commença les jeunes préparatoires à la fête de la Nativité de la Ste Vierge, jour anniversaire pour la Congrégation, ce jour-là était celui où la Congrégation avait été fondée par l’Abbé Mekhitar. Et voici que le 4 septembre le Prince Eugène arrive à Venise, et M. Bedros de Karabagh se présente au couvent, porteur de deux copies d’un décret de Napoléon, signé le 17 août, déclarant que la Congrégation des Pères Mekhitaristes était maintenue.

La nouvelle se répandit dans le couvent comme la foudre. Soudain retentissent toutes les cloches de la tour de l’église. Tous les religieux se ruent dans les couloirs pour demander les nouvelles. La joie de tout le monde est indescriptible. On court à l’église, pour baiser l’autel de la Ste Vierge. On chante le « Te Deum » interrompu par les sanglots des anciens. J’ai eu le bonheur de connaître quelques Pères de l’ère napoléonienne, et après tant d’années, ils étaient toujours émus quand ils se rappelaient cet épisode, et la tenue superbe dans toute cette crise, de l’Abbé général Etienne, des comtes Akonz Kôver.

e veux citer ici un morceau de sa lettre, donnant la grande nouvelle au Père Supérieur de Constantinople : le célèbre historien P. Michel Tchiamtchian. « Enfin voilà le moment, demandé à Dieu par les prières et les larmes, voilà un autre miracle de l’Auguste Souveraine (la Ste Vierge) pour la Congrégation mekhitarienne de St. Lazare. Car, dans la suppression de tous les couvents d’Italie, seul notre couvent, dirigé par la Grande Reine, est sauvé, au grand étonnement de tout le monde. Comme notre Communauté a été fondée le 8 Septembre, et a été sauvée en Morée de la persécution turque, ainsi dans la préparation de la fête de la Nativité de la Vierge, le Décret du Grand Napoléon, annonçant le grand bonheur pour notre Institution, est arrivé par le moyen du vice-roi. Celui-ci, à peine eut-il reçu le Décret, avant d’en donner communication au Préfet, comme d’usage, poussé par la grande joie, on envoya immédiatement deux copies imprimées, par le moyen de son fidèle garde, notre Co national M. Bédros. Je ne peux pas exprimer le bonheur que nous éprouvâmes en le recevant, nos cœurs furent au comble de la joie. Le gouvernement fit afficher plusieurs copies, en plusieurs endroits remarquables de la ville, comme aussi sur plusieurs portes de notre couvent. »

L’Abbé Akonz se présenta immédiatement au noble Bienfaiteur, le Prince Eugène Beauharnais, auquel il déclara la profonde reconnaissance de la Congrégation.

Le lendemain, il écrivit des lettres de remerciement aux amis de Milan, qui avaient tant aidé près du vice-roi et en premier lieu à Monseigneur Don Lodovico Arborio de Brème.

La nouvelle de la libération de la suppression se répandit soudain partout, en Orient et en Occident et voilà que les lettres affluèrent de toute part. Les Pères missionnaires de Transylvanie dirent que le clergé en Hongrie jugeait incroyable une telle faveur, et s’était uni à eux pour chanter le « Te Deum ». Mêmes impressions chez d’autres missionnaires, d’autres amis. Les Pères de Constantinople se sont rendus en corps à l’ambassade française pour exprimer leur profonde reconnaissance.

Mais la faveur du Napoléon ne se limita pas au Décret. Le Consul de France était chargé de la part du gouvernement Impérial d’informer l’Abbé archevêque Akonz, que le couvent de St. Lazare considéré comme une Académie de savants, jouirait toujours de toute la bienveillance de I ’Empereur.

Ainsi la Congrégation sure de sa vie matérielle, put vaquer tranquillement à ses occupations religieuses et littéraires, et put donner au monde savant tant de travaux en diverses branches, qui sont exposés dans l’ouvrage du P. Basile Sarkissian : « L’Activité littéraire bicentenaire de la Congrégation arménienne mekhitariste de Venise.»

Source :

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